Prenez deux hommes. L’un bénéficie d’une aura à la limite de la dévotion chez les jeunes avocats associés, les traders de La Défense, les louveteaux du monde bancaire, les crocodiles du market-com’, pour eux le Hugo Chavez des rayures craie. L’autre a habilement tracé son sillon dans l’univers vintage, patient et inspiré, après avoir fait ses classes là où les fidèles du précédent rêvent de rentrer. Ajoutez à cela un groupe de presse dynamique, magnifique capteur de son temps, de son ton et de ses tendances, à qui tout réussit, forcément. Marc Beaugé + Gauthier Borsarello + So Press (éditeur de Society) = L’étiquette, le guide de l’élégance masculine.
On a compris l’idée, fil conducteur de L’étiquette : le goût du vêtement est affaire de transmission, familiale en particulier, et d’apprentissage.
De quoi s’agit-il ? Pour résumer, le principe de départ, qui est aussi son point d’arrivée ça tombe bien, est le suivant : il faut vraiment décontracter tout le monde avec le vêtement, c’est un jeu, nous, on adore le foot mais on n’est pas là pour jouer les arbitres de l’élégance, il faut savoir que les vêtements qu’on porte font passer un message, ont une histoire, cette histoire on veut vous la raconter parce qu’on aime le vêtement et on aime les histoires. L’étiquette ne propose pas une grande théorie philosophique du port de la couronne de Jules César à Philippe de Belgique. Ce n’est pas sa vocation. Sur la base d’une multitude de looks, parfaits pour le placement de marques, le magazine est rempli d’anecdotes, de partis pris, de petites histoires et de conseils. Tout ce qui fait la marque Beaugé. S’il est en panne d’inspiration, c’est Gauthier qui meuble (pas le contemporain, l’autre) avec une patte vintage clairement assumée.
Quand le meuble est trop rempli, inéluctablement ça déborde. L’étiquette pourrait sans difficultés faire l’économie des 25 premières pages, entre pubs et copains (très marqués socio-professionnellement) invités à présenter les pièces de leur vestiaire qu’ils affectionnent. On a compris l’idée, fil conducteur de L’étiquette : le goût du vêtement est affaire de transmission, familiale en particulier, et d’apprentissage. L’idée demeure bonne, moins convaincante est sa présentation. Mention spéciale pour Basile, co-fondateur de Beige Habilleur, e-shop régulièrement cité dans le magazine, qui présente ainsi son trench : « c’est un Mackintosh raglan non rubberisé. Coloris gorge de pigeon. » Le plaisir évident qu’il prend ainsi à mettre une disquette au lectorat, il ne le procure guère à la vue d’une gabardine informe.
Paré d’un vêtement de pluie, notamment le ciré jaune qu’il glorifie (on adore !), L’étiquette passe adroitement entre les gouttes des nombreux attendus à son égard. Passage obligé par la grande mesure, qui ravira les esthètes, avec l’interview de Lorenzo Cifonelli. Il aime les montres, mais celles qu’il porte ne sont pas l’heure, c’est Dandy. Passage souterrain par l’histoire de l’incroyable aventure dans les fripes et le vintage des années 80 d’une bande de potes d’Avignon rêvant des States. Passage savoureux pour qui aime les costumes, les anecdotes et la politique (la vie quoi !), avec la plaisante interview croisée de quatre « faiseurs » de costumes : Husbands, Jonas et Cie, De Fursac, Cifonelli. Le Dandy ne saurait que trop en recommander la lecture.
Tiens, un Marc Beaugé se cache derrière une cravate tricot. Pour bien faire, L’étiquette devrait se renommer Les étiquettes, comme il existe les Internets. Ils ne sont pas validés mais le Dandy aime les partis pris du magazine en forme de pieds de nez : « le tweed est une matière sportswear », « pas de préjugés à l’égard du bob », « ne prenez pas soin de vos Converse, portez-les, abîmez-les, souillez-les », « avec un complet texturé, une paire de baskets fonctionne souvent très bien ». À 9,90 euros le plat du jour, on reste tout de même un peu sur sa faim en termes de contenu rédactionnel. C’est évidemment pour mieux attendre le prochain repas.