Peut-on être Dandy – c’est-à-dire avoir vu cent et mille choses dans sa vie – et avoir le souffle coupé ? Oui, c’est possible : en découvrant la presqu’île de Crozon. L’arrivée par le pont de Térénez et la traversée du village d’Argol fixent d’entrée le décor. Les agences de voyages, dont les catalogues vantent avec vigueur les paysages des Seychelles, de la Papouasie ou du Costa Rica, ignorent à dessein de promouvoir la beauté époustouflante de cette pointe occidentale du Parc naturel régional d’Armorique, située à moins de trois heures de Nantes en véhicule cibiste. C’est une stratégie : envoyer par charters entiers la clientèle vacancière aux quatre coins du globe entretient la perpétuelle illusion d’un honorable pouvoir d’achat établi à l’aune du all inclusive. Le Dandy n’a pas ces pudeurs d’apparat : la Bretagne est sa terre promise et Crozon son jardin d’éden.
…le bleu azur du ciel, le bleu émeraude de l’eau, le vert des pins et de la lande, le sentier sinueux, majestueux, les criques secrètes…
En un tel jardin, on plante sa tente. Ainsi, le Dandy a vécu son séjour en presqu’île dans le plus simple hébergement qui existe, sur ces lieux de sociabilité estivale appelés noblement camping. Celui des Mimosas, à Telgruc-sur-Mer, avec sa guérite qui sert tout à la fois de point d’accueil au pèlerin, d’espace contemplatif de cartes postales invendues depuis des lustres, de diffuseur officiel de Michel Drucker et de bar à l’âme clandestine et nocturne, est un pur monument de magie. Sur terre, il ne possède que 2 étoiles ; dans le ciel, il en dispose de beaucoup plus. Pris par cet élan, les piquets du lieu d’asile solidement ancrés au sol, le Dandy se rend en bout de presqu’île à Camaret-sur-Mer dont le port largement bordé de bars et restaurants présente cette curiosité magnifique : une église isolée située au bout de la jetée. Notre-Dame-de-Rocamadour. La Tour Vauban, à ses côtés, rappelle l’importance de ce port abrité dans la protection des côtes françaises à l’époque des grandes batailles navales et de Rackham le Rouge. Chose marquante à Camaret-sur-Mer, à l’égal des autres localités de la presqu’île, ne s’y trouve pas que la dureté d’une vie maritime et éloignée des centres névralgiques de consommation ; s’y déploie avec bonheur une vie artistique ponctuée de nombreuses galeries et ateliers. C’est inattendu ; c’est encore plus beau. Un quartier d’artistes. Incarnant ce trait d’union entre art de vivre et art tout court (foule de dessins et d’écrits à même le mur), le bar Le Notic, aussi étroit qu’un voilier de 20 pieds, est un endroit mythique peuplé d’âmes enjouées à l’abord facile. Déjà envoûté, le Dandy n’a pas poussé son excursion jusqu’à Chez Mémé Germaine du côté de l’anse de Pen Hir qui, de l’avis local, vaut le détour. Il y reviendra. Forces, il lui fallait conserver pour s’aventurer une journée entière sur le sentier menant au Cap de la Chèvre, au départ de Morgat. Les belles devantures colorées de ce Trentemoult-sur-plage, les saveurs inhalées devant le confiseur Landié & fils, installé depuis 1956, offrent entrain et bonheur au moment d’aborder la pointe du Kador avec son fort, son calvaire et son phare. C’est à ce moment-là, il s’en souvient désormais, que tout a basculé pour le Dandy : le bleu azur du ciel, le bleu émeraude de l’eau, le vert des pins et de la lande, le sentier sinueux, majestueux, les criques secrètes… Pépite. Joyau. Bijou. Merveille. Paysage à couper le souffle. Déboussolé (sans doute) par tant de splendeurs à portée de rétine, le Dandy – qui ne s’arrête devant rien, surtout pas une balise rouge marquant l’entrée d’un port – se vêtit ce soir-là pour… finalement ne pas sortir. Manière élégante de mettre en scène et d’orchestrer son propre échec : cette tenue, qu’il n’honore pas à l’extérieur, sera assumée tout de go comme habit de sommeil. Il était là le signe : au petit matin frisquet, à 8 heures, quand Douarnenez dort encore, le Dandy, déjà prêt, se rend sur le port de pêche (Rosmeur) en quête d’un café chaud et d’une gourmandise chocolatée. Calme, quiétude, beauté de tous ces amarrages, mouettes frivoles au vent. Pays de la sardine et de la résistance, Douarnenez est une médaille à accrocher au revers de stevé de quiconque aime passionnément la Bretagne. Devant le port de plaisance (Port Rhu), le long du canal, le Dandy pose enfin son âme damnée place des Enfers au Café « An Ifern » (enfer, en Breton). Aussi pataud que doux, le chien de la patronne se prénomme Hadès. Hadès, le dieu des Enfers. Parfait résumé. Crozon est un paradis ; c’est un enfer que d’en partir. À Marianne F et Maxime R.
Crédit photo : @tontonmoiz. Grand merci.