C’est aussi étonnant que la lecture d’une Anthologie de la poésie d’Ouzbékistan (Éditions du Sandre) : à Bordeaux, le Dandy n’a pas croisé d’homologue. Par le vent ou par les flots, l’air du Sud ou le courant de la Garonne paraissent n’avoir nullement porté sur la rive gauche et ses jolis quais aménagés de Dandys dignes de ce rang. Au détour d’une rue étroite, un sapeur qui s’ignore pourra subrepticement recueillir une attention fugace mais pas au point d’y déceler un esprit élégant et raffiné capable de renverser l’ordre souverain des apôtres de la chalandise rue Sainte-Catherine. Si un jour de gloire il doit y avoir une révolution de Dandys, elle ne partira pas de Bordeaux. On reste des Girondins.
Pourtant placée à droite de l’échiquier, Bordeaux a longtemps laissé sa rive droite en friche…
À l’image de son fleuve, aussi grandiose que son franchissement est interminable, Bordeaux soulève enthousiasme et déceptions et se révèle être une ville parfaite pour le dandysme. Toujours en quête de surprises et d’étonnement, jamais à court d’idées et de projets avant-gardistes. Il convient ainsi de surveiller comme le lait sur le feu tout ce qui est entrepris dans le quartier de La Bastide avec sa réhabilitation en mode île de Nantes / chantiers navals : jardin botanique, Darwin Éco-système, Magasin général, Brasserie de la Lune et guinguette Chez Alriq. Pourtant placée à droite de l’échiquier, Bordeaux a longtemps laissé sa rive droite en friche ; une ruse de la raison géographique qui acheva de convaincre le Dandy d’y établir son adresse de villégiature.
Au saut de l’Intercités plus qu’au saut du lit, il faut se rendre à la Cité du Vin inaugurée en 2016 dont la complexe beauté architecturale se déguste comme un Moulis-en-Médoc. Pour un lieu de cette espèce, la boutique de produits dérivés s’avère riche en curiosités et sa très belle cave à vins du monde toute circulaire offre un vif rafraîchissement sensoriel et intellectuel. Partie sur les chapeaux de roue, cette visite de la ville va néanmoins en faire baver des ronds de chapeau au Dandy… C’est là le miroir d’eau le plus grand d’Europe ? Mais il n’y a pas d’eau, c’est vide. C’est comme venir à Nantes et apprendre que Le Grand Éléphant est en maintenance. Le scandale menace d’éclater publiquement à deux pas du Gabriel où sénateurs et lobbys ont l’habitude de se rencontrer.
Tout ensuite donne envie de partir en soirée. Du bar à vins–bistrot à la déco vintage (Le Chabrot) aux établissements des places du Palais, du Parlement, Fernand Lafargue ou Pey Berland ; de la nouvelle adresse d’initiés où le Dandy reçoit un accueil de gentilhomme (Les Mauvais Garçons) aux bars d’ambiance qui débitent du mojito comme un régiment d’enfants avalerait son poids en canelés (Calle Ocho) ; du café intimiste où il faut être blogueuse lifestyle pour comprendre la carte des gourmandises (Banana Café) à la pizzeria napolitaine qui remet délicieusement l’organisme en marche le dimanche midi (Masaniello). La direction vers un établissement de nuit du centre-ville nécessite, pour disposer d’options sûres, la consultation de la faune nocturne locale. Cette dernière préjuge du Dandy qu’il sera à son aise au Cercle. Craignant toutefois d’y tourner en rond, il en pince pour Monseigneur davantage que pour la rutilance absconse du Black Diamond dans les sous-sols du Grand Hôtel.
Le marché des Capucins devient le week-end un repaire de noctambules avertis qui s’y attablent au petit matin. Une bavette saignante & purée de pomme de terre prend à cette heure la saveur d’une embrassade discrète avec une huissière de justice travaillant en holding ; comme un sentiment de privilège et de plénitude. Coup d’épée dans l’eau pour un coup de griffe : à 8 heures du matin, La Panthère Noire a le rideau baissé mais le Dandy perçoit que la fête à l’intérieur est loin d’être finie. Il se murmure que la brillance des études en économie n’a jamais prémuni contre la perte, en ce lieu, de son pécule savamment accumulé. Entre la robe de ses vins et la robe de ses femmes, Bordeaux fait tourner les têtes mais ne les fait guère tomber. Définitivement peu révolutionnaire… mais passionnément épicurienne.